Entretien avec… Kek

L’idée à la base des réseaux sociaux était de rassembler les gens, leur permettre de communiquer plus facilement. Je ne sais pas si ça a marché, ni si c’était une bonne chose au final. On est encore trop dedans pour avoir du recul.

Créateur hors-catégorie, Kek conçoit des jeux hors-norme : une fois que vous aurez goûté à ses Jeux Chiants ils ne vous lâcheront pas. Son regard cruel et bienveillant, s’il est possible de réunir les deux, scrute notre quotidien dans une BD elle aussi impossible à classer : Les Quotichiants. En fin connaisseur des réseaux sociaux, il se montre (très) lucide quand à leurs usages et leurs dérives d’aujourd’hui.

Jogg.com était un site de petits jeux Flash, il y a encore 6 mois. Voilà pourquoi vous êtes pour moi un héros : vous développiez des jeux Flash dans les années 2000, les voici aujourd’hui sous forme d’applications pour smartphone. Comment avez-vous réalisé cette « transition » ?
Eh bien la transition s’est faite sans trop de difficultés parce que je développe toujours mes applications mobile avec Flash 🙂
En fait pour être précis, j’utilise Adobe AIR, mais ça reste le même langage. Ce qui est très pratique pour moi puisque ça fait près de 20 ans que je le connais ! Les puristes diront que c’est pourri, mais les performances sont là, en utilisant Starling et Stage3D (des API) on peut réaliser des jeux et des applications qui tournent parfaitement. Pour les Jeux Chiants, c’est même du Flash à l’ancienne et ça tourne vraiment bien, pour preuve il y a eu quand même près de 5 millions de téléchargements ! J’ai également fait des applis assez conséquentes pour des gros clients, et tout ça avec AIR sans problème.
Après c’est comme pour tout, si tu fais ton jeu en natif mais que tu codes avec les pieds, le résultat sera naze. Je ne conseillerais pas spécialement AIR comme outil de développement pour quelqu’un qui veut s’y mettre (et encore) parce qu’il y a d’autres trucs plus récents et peut-être mieux, mais moi ça me suffit largement pour ce que je veux faire, et il y a toujours une grosse communauté derrière avec des mises à jour régulièrement. Si par malheur ça s’arrête un jour ce sera pas la fin du monde, je me tournerai vers la création d’applis en HTML5, Haxe, Unity, ou autre.

A la fois développeur et dessinateur, votre univers est très très… taquin. Les Quotichiants et vos Jeux chiants sont très agaçants ! Mais… mais pourquoi ?
Comme je dis souvent, je force personne à y jouer ! Et puis c’est marqué dessus, c’est pas comme si ça s’appelait « Les jeux mignons qui te flattent ». Je pense qu’ils sont agaçants par manque de patience de la part de ceux qui y jouent. J’ai l’impression que les jeux maintenant sont beaucoup plus faciles à maîtriser, avec des tutos super longs pour apprendre à jouer correctement, un gameplay qui s’adapte en fonction de ta nullité etc. Moi j’ai pas le temps de faire ça, ou plutôt j’ai la flemme. Tu lances le jeu, déjà il n’y a quasiment pas d’explication sur le gameplay, juste un truc du style « Clique sur le machin et essaie de pas mourir ». Les gens ne lisent pas les règles de toutes façons. Mais après oui, j’aime bien aussi emmerder le joueur avec des niveaux un peu compliqués, où on se dit en jouant « han le bâtard ». Ça reste de l’humour potache pour moi, et je pense que ceux qui y jouent vraiment l’ont bien compris !
Pour les Quotichiants par contre, c’est plutôt de l’auto-dérision. Je m’amuse des petits moments relous du quotidien parce que justement, ça me fait marrer d’en trouver au final. C’est devenu une quête de plus en plus difficile !

On ne peut être qu’admiratif devant un auteur indépendant, créatif et (encore) libre, dans un domaine aussi organisé et industrialisé que celui du jeu vidéo. Comment le vivez-vous ? Que direz-vous à un ado voulant suivre vos traces ? Quels sont vos projets ?
Libre, j’espère le rester jusqu’au bout ! En tout cas je fais tout pour. Ça m’arrive parfois d’être en mission dans des agences pour quelques semaines, et quand je suis là bas, je me dis que pour rien au monde je ne pourrais bosser dans une boîte. Ça a ses avantages, c’est sûr, mais en gros j’essaie de bosser à 50% pour des clients, et 50% pour moi, mes projets persos. Et ça marche. Je sais pas si c’est présomptueux de dire ça, mais je me vois un peu comme un artisan, un artisan du web on pourrait dire. Je fais des trucs dans mon coin parce que ça me plaît, je les mets en ligne, et les gens les utilisent, ou pas. Quand je commence un projet et que j’ai une page de code vierge, j’ai l’impression d’être un ébéniste devant un morceau de bois, avec lequel il va faire une table ou une chaise.

Quand je fais un jeu ou un autre truc débile, il faut que ça me plaise à moi déjà, que ça me fasse marrer. Et si ça fait marrer des potes, alors là c’est gagné, j’ai réussi ce que je voulais faire, et je me dis que ça plaira sûrement à d’autres personnes. Il y a quelques années j’avais été approché par une boîte qui fait des jeux pour mobile, qui est maintenant une des plus grosses en France. Ils me montraient leurs jeux, qui n’avaient rien d’exceptionnel, le principe était repiqué à un autre jeu, pas spécialement d’humour, bref des petits jeux « basiques » sans intérêt comme il en existe plein. Mais les mecs m’expliquaient qu’ils achetaient plein de faux-téléchargements pour faire grimper leurs jeux dans les classements sur Apple Store et Google Play. Du coup leurs jeux étaient dans les 10 premiers, ce qui leur faisaient une grosse publicité, et donc de « vrais » téléchargements, avec au final des revenus. Leur boulot consistait donc à trouver les bons ajustements entre acheter des faux-téléchargements et gagner de l’argent avec les vrais téléchargement. L’horreur. Ils passent leurs journées à ça, sans aucune volonté de faire des jeux intéressants et créatifs. C’est bien pour ça que je suis content de rester libre, même si ça ne me rapporte pas des millions !
A un ado qui voudrait suivre mes traces, je dirai fonce ! Crée des trucs, intéresse-toi à tout ce qui se passe, reste au courant des nouveautés etc. Si c’est ta passion tu verras que ce ne sera jamais contraignant. Ça fait plus de 15 ans que je fais ce métier, et j’ai très rarement l’impression de travailler.
Concernant mes projets, j’ai toujours une dizaine d’idées d’applications/jeux notées dans un coin de mon bureau, que j’essaie de faire quand j’ai du temps et j’ai aussi un tome 2 des Quotichiants à terminer. J’aimerais bien faire davantage de jeux qui se jouent à deux, j’ai fait un Puzzle Bobble qui se joue à deux via Wifi, et je trouve ça chouette en fait, de jouer contre une personne à côté de soi, et de s’insulter. Il y a tellement de jeux où tu joues contre des personnes que tu ne connais pas, qui sont juste un pseudo sur l’écran. D’ailleurs ils te font croire que ce sont de vrais joueurs mais ce sont très souvent des bots qui sont là pour te faire jouer au maximum en s’adaptant à ton niveau.

Quels conseils donneriez-vous à une personne qui s’inscrirait aujourd’hui sur un réseau social ?
Pff sincèrement je ne sais pas. C’est devenu une telle usine à merde. C’est à la fois génial pour se faire connaitre, montrer ce que l’on fait, s’entraider aussi. Combien de fois j’ai vu un animal perdu par exemple, ou un portefeuille, retrouvé grâce à Facebook, ce genre de choses. Ou la communication et l’organisation entre les habitants dans les pays en guerre. Ou plus récemment le mouvement des gilets jaunes, qui est né sur les réseaux sociaux. C’est un outil formidable, comme Internet d’ailleurs. Mais après, l’être humain est doué pour le meilleur comme le pire, il faut trier. Ce que je conseillerais à cette personne ce serait déjà de se relire et de ne pas faire de fautes, ou le moins possible. Ça décrédibilise tout. Ensuite, si c’est pour suivre l’information, suivre des sources différentes, ça c’est primordial. Si c’est pour partager une information, de la vérifier avant, surtout. Et enfin, si c’est pour suivre ses amis, regarder les plans pour des antidépresseurs pas chers, apparemment Snapchat et Instagram par exemple génèrent de l’anxiété et de la dépression. J’ai pas de problèmes à le croire.
Mais après je dis ça avec un bon paquet d’années de réseaux sociaux derrière moi. Si une personne découvre les réseaux sociaux, elle a une tonne de chouettes trucs à découvrir, la chance ! Une tonne d’heures à perdre aussi !

Quelles leçons à retenir de cette génération de réseaux sociaux ? Que garder ? Que jeter ?
Ce qui fait des ravages je pense, c’est la manipulation de l’information, les fake news comme on dit, les hoax comme on disait. On peut dresser un paquet de gens les uns contre les autres avec une info bidon. Dans le tas il y en aura qui se méfieront, verront que c’est faux, mais la plupart foncera droit dans le mur. C’est hyper dangereux et je vois pas tellement ce qu’on peut faire, à part redire de vérifier ses infos et celles qu’on lit. Que garder ? Je ne sais pas. L’idée à la base était de rassembler les gens, leur permettre de communiquer plus facilement. Je ne sais pas si ça a marché, ni si c’était une bonne chose au final. On est encore trop dedans pour avoir du recul.

Si vous avez lu les autres entretiens, qu’en avez-vous retenu ?
Que les autres personnes interrogées sont toutes d’horizons différents et de point de vue différents ! Je trouve ça super intéressant, même si en résumé il n’en ressort pas une vision très positive des réseaux sociaux dans l’ensemble.

Merci Kek !

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *