Dérives sur les réseaux sociaux : maladie ? symptômes ? Partie 1/4

Les réseaux sociaux sont-ils la maladie où le symptôme de nos sociétés ?
Hervé Resse répond à la question, dans cette passionnante série d’articles à suivre.

L’état présent des réseaux sociaux, tels que nous les vivons et les observons en cette période, pourrait-il être considéré comme une possible « maladie infantile » du monde numérique hypra connecté ? A moins que leurs usages ne fussent révélateurs d’évolutions sociétales en réalité plus profondes, justifiant alors l’emploi du mot « symptômes », au pluriel. On inviterait à la barre Umberto Eco. Vers la fin de sa vie ce grand lettré constatait, amer, que « les réseaux sociaux ont donné le droit à la parole à des légions d’imbéciles qui avant ne parlaient qu’au bar, et ne causaient aucun tort à la collectivité… Aujourd’hui ils ont le même droit à la parole qu’un prix Nobel ». Propos assez élitiste, convenons-en, qu’on pourra partager jusqu’à un certain point, ou pas. A chacun d’en juger.

1/ Circonscrire le périmètre…

L’appellation générique « Les réseaux sociaux » s’est imposée dans le langage parce que le CSA l’a imposée aux médias, afin qu’ils n’en citent plus les noms, car les nommer revenait à en faire la promotion, la publicité. Dans 99% des cas, ce terme désigne Facebook ou Twitter. De nombreux autres existent, mais ce sont ces deux-là qui ont pris en dix ans une place centrale dans le concert médiatique.

L’évolution fut d’abord technologique. Au début de ce siècle, souvenons-nous, télécharger une simple photo laissait largement le temps d’aller promener le chien. L’essor des haut puis très haut débits, ADSL, 3G, 4G, fibre, jointes à la sophistication croissante des « devices » (pc, portables, smartphones, tablettes, objets connectés), ont permis l’explosion du volume des messages, et du poids numérique de chacun d’eux. Les usages s’en sont démultipliés. Toute personne physique est désormais un diffuseur potentiel. Elle s’exprime, crée, partage textes, textos, photos, vidéos. Ce qu’on a appelé les « UGC » – User Generated Contents » : contenus générés par l’utilisateur. Chacun peut réagir, interagir, pirater, plagier, désinformer. Par suite, ce sont les personnes et les relations qu’elles entretiennent, qui s’en sont trouvées impactées. Puis nos sociétés dans leur ensemble ; et jusqu’à « l’histoire avec un grand H » : il est acquis que la victoire d’Obama en 2008 dut beaucoup à l’influence de Twitter. Et celle de Trump en 2016 s’est largement nourrie de la puissance de Facebook, devenue pour les classes laborieuses américaines LA première source d’information (si ce n’est la seule). On sait que Trump utilise aussi Tweeter comme lieu quotidien d’expression diplomatique. Son ami Macron également.

Il y a 15 ans, ces évolutions en cours suscitèrent la méfiance de bien des experts. Les plus circonspects (citons Dominique Wolton, directeur au CNRS des sciences de la communication) furent vite taxés d’obsolescence / ringardise. Car de leur côté les modernes espéraient et annonçaient l’émergence de la « démocratie numérique » : Internet allait, pensait-on, réaliser le rêve du philosophe allemand Jurgen Habermas, ce qu’il appelait dès 1962 « L’espace public », entendu comme « un ensemble de personnes privées, rassemblées pour discuter des questions d’intérêt commun, et faisant contrepoids à des pouvoirs absolutistes ». Pour une gauche utopiste, ou radicale, qu’Habermas influence toujours, le web pouvait devenir ce lieu d’échanges au cœur de la Cité, ce rassemblement social et politique, une « agora » moderne, version digitale de l’antique cité grecque. Avec son équivalent latin « forum », s’est incarné un espoir d’expression, responsabilisation, participation des citoyens. Non sans quelque candeur. Mais Internet peut fort bien permettre cela, car comme la télévision, il s’agit d’abord d’un tuyau, qui ne préjuge en rien des contenus qu’il transmet. Un volumineux rapport du CESE publié en 2017 évoquait de nombreux exemples d’interactions solidaires, innovantes, généreuses, entre citoyens. Ce ne sont pas mon sujet du jour.

De même vais-je laisser dans l’ombre la part immergée de l’iceberg, ce « deep web », web profond, aussi appelé « darknet ». On le sait, les innombrables ressources auxquelles vous et moi avons accès, via nos outils et systèmes standards, ne représentent que 4% des datas existantes. Le deep web n’est pas toujours illégal ; il l’est souvent. S’y trament entre autres les événements qui bousculent le réel : préparations d’attentats, commandites de meurtres, trafics, surveillance, cybercrime, etc.

Je m’en tiens à ces réseaux grands publics, désormais omniprésents dans les autres médias, qui commentent et donnent corps à tout ce qui s’y diffuse, bien au-delà du raisonnable. Ils l’ont d’abord fait pour ne pas paraître trop distants d’une révolution qui de fait les prenait de court, ne fût-ce qu’au plan économique du partage des ressources publicitaires. L’audience internet est devenue telle, notamment chez les jeunes générations, qu’aucune actualité ou fait de société ne peut plus s’évaluer indépendamment du poids des discours qu’on tient à leurs sujets, en ces lieux virtuels. Tout ce qui se dit sur Twitter peut vivre sa minute de gloire dans les médias grand public. Naguère encore, on pouvait le considérer comme un simple brouhaha ne concernant que la minorité de personnes connectées. Aujourd’hui, même si tout va vite et s’oublie, l’effet de répétition, amplification et déformation place les réseaux sociaux au cœur des sphères médiatiques locale, nationale, mondiale. On peut estimer que cela relève d’un miroir déformant, grossissant, mais en dernière analyse, peu représentatif de la société « réelle ». Je ne partage pas cet optimisme. Je vais tenter d’expliquer pourquoi.


Hervé Resse, est blogueur, chroniqueur, coach. Retrouvez sa plume sur son blog professionnel Communiquer-Transmettre et sur cette très belle série d’articles 7×7.press.

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