Deux ennemis

Les machines sont parfois rudes avec nous, pauvres humains. On achète un smartphone parce que, parce que bon. Puis on installe quelques applis, et nous finissons par vérifier 100 fois par jour si on n’a pas reçu un message ou une notification.


Je plaide coupable. Si je n’ai jamais accroché à Facebook, sentant l’embrouille d’assez loin, Twitter m’a plu tout de suite. C’est mignon, Twitter. Puis on n’est pas obligé de mettre ses vrais nom et prénom. Ni même sa photo. Ni son statut sentimental (sic). On se sent moins surveillés finalement. Puis on découvre des gens intéressants, qui ont des choses à dire, sur des sujets qui nous tiennent à cœur, et sur des sujets qui nous intéressent un peu, puis sur d’autres sujets qui ne nous concernent pas et finiront par nous passionner 6 mois plus tard. Pas obligé d’avoir été assis sur le même banc d’école pour se suivre et se retweeter. Les connexions semblent plus naturelles et spontanées.

Tout ça semblerait finalement bien innocent si, par un usage répété et régulier, ne s’était pas formée une… habitude. Une mauvaise habitude. On finit par regarder plusieurs fois dans la journée si notre message mi-drôle mi-pas-drôle du matin a réussi à faire sourire quelqu’un. On se retrouve interrompu dans son travail par une alerte sans importance. On se surprend à se connecter sans raison apparente, sans vraiment y penser.

Que l’on passe son temps sur Facebook, Twitter, Instagram ou Linkedin, tous ces réseaux fonctionnent au fond de la même manière. Sous de très bons prétextes – communiquer, échanger, découvrir – nous prenons à leur contact un plis, qui peut sembler anodin et sans douleur, et qui pourtant nous enchaîne petit à petit à une mécanique malsaine.

Alors certes, nous ne sommes pas tous atteint du même mal ou de la même façon. Mais il suffit de regarder autour de nous, c’est à dire lever le nez de notre smartphone, pour s’apercevoir de l’étendue du problème. Les salles d’attente sont des lieux privilégiées d’observation, mais les familles, les amis et les collègues offrent aussi de beaux spécimens, ayant toujours le smartphone à portée de main, et dans un état de semi-conscience permanent. Ne parlons pas de ceux qui, au volant, font prendre à leur voiture des trajectoires hasardeuses.

Nous faisons tous un jour cette expérience où, se connectant sur notre réseau préféré pour une raison précise (répondre à une ami, chercher une info, etc.), nous y restons finalement beaucoup, beaucoup plus de temps que prévu, sans nous en rendre compte. Un titre accrocheur et une photo étonnante suffisent à nous emmener ailleurs. Puis nous rebondissons plusieurs fois, sur d’autres infos, d’autres photos, d’autres citations, d’autres memes, d’autres notifications, etc. Lorsque nous nous déconnectons, nous réalisons que le temps a filé, très vite, et que ces heures sont perdues. Pour rien.

Cette expérience n’est pas un accident. Elle est même le fruit d’un travail minutieux de tous ceux qui, en coulisse, fabriquent les algorithmes qui nous enchaînent.

Quels sont les moyens infaillibles pour nous mettre dans de tels états ? Ils sont nombreux, et nous aurons l’occasion d’en parler, mais on peut en identifier deux qui se détachent nettement du lot. Pour notre temps et notre attention, on peut les qualifier, sans exagérer, d’ennemis :
– les notifications,
– les contenus infinis
(endless scrolling).

Ceux-là sont particulièrement redoutables, et peuvent détourner notre attention, sans douleur, en toute discrétion, à tout moment de la journée. Et les raisons sont désarmantes de simplicités :
– les notifications nous font revenir,
– les contenus infinis nous font rester.

Plus nous revenons, plus nous avons tendance à rester. Plus nous restons, plus nous en prenons l’habitude. C’est ainsi que plus de publicités sont diffusées, et plus grands sont les revenus de ces plate-formes. Raison pour laquelle elles ne changeront pas. Sauf, éventuellement, si leur rendement baisse…

Concernant notre projet, nous allons devoir éliminer ces deux ennemis, qui pourraient pourtant être de sérieux atouts. Ils ont aussi fait le succès de JOGG : un nouveau message privé, un nouvel article sur le forum, un nouveau score dans le jeu du jour. Tous étaient, je le sais, très addictifs. La forme ancienne et non-optimisée des notifications et des contenus infinis. A diverses périodes de la vie de JOGG j’ai reçu de nombreux messages de la part de joggers passionnés. Ils me disaient vouloir quitter le site, à regret, car ils avaient mieux à faire. Des études, un enfant, déménager, travailler… Construire sa vie était devenu incompatible avec la « vie de jogger ». Certain(e)s se reconnaîtront 😉

Là je me suis dis qu’il y avait un problème… Comment un loisir si anodin avait pu devenir une telle nuisance ? Comment des joueurs « casuals » avaient pu faire de ce petit site un élément si préjudiciable à leur vie ? Côté développeur, donc de mon côté, je ne voyais pas le problème. De nouvelles idées faisaient naître de nouveaux projets, souvent sous la forme de nouveaux jeux. De l’autre côté de l’écran il y avait des joueurs qui devenaient sérieusement « addicts », au point d’utiliser toute leur volonté pour s’en détacher.

Imaginons où nous en sommes aujourd’hui ! Les réseaux sociaux profitent à l’échelle planétaire de ce phénomène d’addiction. En le perfectionnant et en l’industrialisant il est devenu un problème de santé publique mondial. Beaucoup d’enfants et d’ados ont du mal à se calmer ou ont des problèmes de concentration. Les téléphones ont été banni des écoles. Le patron de Netflix a désigné ses principaux concurrents, parmi lesquels se trouve… notre sommeil. Nombreux adultes ressentent ce phénomène comme étant nuisible à leur vie quotidienne. Il existe même des cures de « digital detox », comme pour l’alcool ou la drogue.

Je n’arrive pas à imaginer que ce phénomène puisse durer.

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